ESSAI - La poésie au secours du monde : Kenneth White : "Le mouvement géopoétique"

"Habiter poétiquement le monde" : que cela signifie-t-il ? 

Dans un très court texte, le poète et essayiste écossais, Kenneth White, propose d'y répondre, non sans difficulté, tant il est vrai que l'espèce humaine "s'est résigné[e] à vivre dans un monde immonde." 

Il semble nécessaire d'abord de remonter aux origines des mots pour ne pas céder aux définitions trop simplistes que l'on peut donner parfois aux choses et aux idées. Ainsi, par exemple, s'agissant de la poésie, Kenneth White rappelle au lecteur le noûs poietikos d'Aristote, "c'est-à-dire l'intelligence poétique", où la perception spontanée et globale des choses précède en général leur approfondissement et leur analyse immanente ou transcendante : " [elle] impliqu[e], telle que je la vois, la première saisie globale des choses, une organisation sensorielle-intellectuelle, précédant la philosophie et la science, mais pouvant les inclure". 

Kenneth White prend alors comme exemple la démarche du poète romantique, opposé à "la maîtrise technique de la nature" (initiée par Descartes). Ce dernier  souhaite repenser son rapport à la nature, en tant qu’objet lié intrinsèquement à lui (sujet). Dans certains cas ("le romantisme série B"), c’est l’épanchement des sentiments qui domine ; dans d’autres cas ("le romantisme série A"), l’approche est transcendantale. Le lecteur est "témoin soit d’itinéraires de voyage-voyance, soit de l’invention de sciences transversales de nature, disons biocosmopoétique." C’est ainsi que le poète et philosophe allemand Hölderlin en particulier défend l'idée d'"habiter poétiquement la terre." 

Là, souligne Kenneth White, il existe une différence profonde entre "monde" qui est l'espace et le domaine des hommes jusqu'au processus de mondialisation en cours, égratigné au passage, surtout dans sa dimension économique, et la "terre" qui renvoie au domaine de la géologie et à l'idée d'"écorce terrestre". 

Sur cet espace rocheux, dont les sédiments renferment l'origine du monde, Kenneth White était voué semble-t-il à la solitude et au nomadisme. De ses voyages et de ses lieux de vie et de "ressourcement", situés en Ardèche d'abord, puis dans la baie de Lannion, est né la géopoétique. Elle semble indiquer, de façon globale et universelle, qu'il y a d'autres voies possibles en dehors des géosystèmes - diraient les géographes - établis et dominants, vers lesquelles la poète peut nous guider. 

Suivons le mouvement ! 

David Dielen 

Kenneth White, Le mouvement géopoétique, Poesis, 2023, 15 pages.


Tous droits réservés ©