RECUEIL - La poésie à tire-d'aile : Christine Billard, Jacqueline Ricard (encres), "L'envol"

La poétesse Christine Billard est de celles qui ne reculent devant aucune difficulté, répondant courageusement à cette proposition qui lui est faite, non pas de commenter la qualité technique ou esthétique des très belles encres de Chine proposées par Jacqueline Ricard, mais d'en appréhender la poéticité. 

Il est heureux de constater que c'est à la nature vulnérable et menacée, en particulier à une nuée d'oiseaux toujours en mouvement et vibrante de vie, où comme chez les hommes misères et miracles se côtoient, que la poétesse associe les compositions éruptives ou aériennes de l’artiste.

Et c'est avec une générosité et une modestie sincère qu’elle explore chaque élément, les isolant parfois pour en montrer l'originalité, les liant à d'autres moments pour construire implicitement, avec la dessinatrice, l'unité d'ensemble de ce qu'elle nomme "L'envol". 

Christine Billard, toujours juste dans le choix des mots, demande patience au lecteur. Elle fait le pari réussi qu'en progressant humblement d'un texte bref à un autre - tous d'une sobriété et d'une épure remarquables - elle atteindra ce qui resterait sinon mystérieux et insaisissable à l’exploration de l'œuvre picturale seule. 

Il y a dans les traits de Jacqueline Ricard une soudaineté et une vivacité d'abord déconcertante, mais tout à fait évocatrices d'un envol. Celui des oiseaux, violent parfois, est une réponse à la peur ("le coeur pulse sur la feuille / petit animal / effrayé"), à l'insécurité qui est souvent la leur sur la terre ou sur la branche : "L'envol / comme une fuite / une urgence" ne traduit pas ici une naissance, une conquête même, mais un moyen de sauvegarder la vie. 

Comme les deux ailes déployées de l'oiseau, l'envol produit deux formes d'effusions qui se rencontrent et se "fiance[nt]" : celle des traits d'encre jaillissant sur la page et celle des mots traduisant les variations émotives et sensorielles de la poétesse, qui s’entremêlent dans le recueil.

C'est dans un ciel vaste, sans cesse étiré ("débordant du cadre" ou "du coeur") à mesure que le groupe d'oiseaux s'agrandit, se déplace et change de forme, que le lecteur goûte aux instants de grâce offerts par ce spectacle – devenu si rare dans la réalité – qui s’anime presque sur la feuille - une danse légère, tantôt alanguie, tantôt vive, d'étourneaux ou d'hirondelles. 

La poétesse dessine en creux ce long mouvement suggéré, sa rondeur rappelant une "toupie / qui virevolte" ou un "derviche tourneur", et fait résonner sa musicalité (la "chorale des nuées / qui fait chanter le ciel / en mille vibrations"). 

Il y a un prix à payer, prévient la poétesse, à cette liberté, celle qu'apporte l’envol dans l'immensité du ciel et les grandes migrations qui s’en suivent. Car elle plonge les volatiles dans l'inconnu et l'"incertitude". Les poètes, semble-t-il, vacillent comme eux dans le doute. Savent-ils au moins qu'on les regarde souvent comme ces oiseaux dessinés, de purs "oiseaux de passage" dirait Jean Richepin. 

David Dielen 

Christine Billard, Jacqueline Ricard (Encres), L’envol, L’Atelier des Noyers, 2021. (Numérotation des pages non indiquée dans le recueil). 

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