RECUEIL - Nature et êtres humains sont une seule et même substance : Fanny Garin, "Natures sans titre"

Le travail d'exploration de Fanny Garin, la composition singulière de son recueil, créant un génial embrouillamini, et son titre énigmatique, ou plutôt son anti-titre, semblent relever de la même intention : le refus de l'enfermement et des limites. 

Ainsi, tous les éléments qui constituent la réalité du monde sensible, aux contours visibles, parfois désignés comme "éculés" - la chambre, les êtres et la nature (la montagne, les arbres...) - sont les matériaux d'une poésie ingénieusement déstructurée, défigurée et, par-là, sans propriété connue, et donc non-identifiée ("sans titre"). 

Le lecteur fasciné, assiste au mélange de ces matériaux et de leurs propriétés par l'entremise de figures multiples. Celle de la poétesse, décentrée à certains instants, comme sortie d'elle-même, et témoin de sa création, est particulièrement prégnante. 

Le paysage naturel n'est pas un prétexte ni un moyen détourné, par l'image ou la simple comparaison, de dire ce qui arrive dans cette chambre qui est au cœur de l'action poétique, entièrement centrée sur l'expression émotive et sensuelle des corps nus et accouplés ("ce vers à façonner sexe, à pénétrer la bouche Rythme"). Il est au contraire consubstantiel à l'expérience vécue par la poétesse, témoin de mélanges inattendus, visibles dans les images poétiques ("la montagne perd ses eaux aux touchers, langues racines doigts" ; ou plus loin : "les pluies et pertes tirent du corps de la terre des odeurs, elles se / mêlent") et dans le jeu des sonorités ("et le lierre (lièvre, fièvre ?) grimpant les murs grimpant tes, / lèvres ?) ; au risque de se perdre volontairement dans le fil ininterrompu du langage, inscrit librement sur la page : "je note que le mot chevauchement m'écarte du trajet simple de la phrase". 

Fanny Garin reste en réalité subtilement suspendue sur ce fil, sans tomber dans le simple registre de la divagation. Son discours poétique est riche de toute une réflexion sur la fonction de la poétesse. Elle concède d'abord un héritage classique ("je mets mes mains et doigts contre la bouche de mon lyrisme, tenté / de l'étouffer (mais il chante)", où elle ne résiste, malgré les éléments sombres qui ponctuent le recueil (le cri des loups, "un sexe qui fait peur" ou de la nuit noire), ni au chant, ni à la célébration. Puis, prenant à contre-pied le lecteur ou le critique, potentiellement mysogine et convaincu à l'idée que la femme poète ne peut exprimer voire suggérer qu'érotisme et sensualité (ce serait alors sa limite), Fanny Garin affirme ironiquement, avec force et provocation : "peut-être que les poétesses sont des putes". 

Tentant de rassembler les réminiscences qui lui ont été confiées, le lecteur se demandera finalement, au moment où les corps transpirent et les draps sont mouillés, si tout cela n'est pas le symptôme d'une fièvre, plaçant judicieusement la poétesse entre l'éveil et le sommeil, entre le rêve et le cauchemar où la nature changeante des corps et des paysages liés, a toute sa place. 

David Dielen

Fanny Garin, Natures sans titre, Angle mort éditions, 2020, 59 pages. 


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