RECUEIL - Une saison en lumière : Christian Le Mellec, "Lumière d'hiver, enfin"

Le titre du recueil de Christian Le Mellec, fondateur des Éditions Le bois d'Orion à L'Isle-sur-la-Sorgue, n'est pas sans rappeler, confie-t-il, celui de Philippe Jaccottet, "À la lumière d'hiver", paru chez Gallimard en 1977. 

Ajoutant l'adverbe "enfin", le poète dit ici toute l'attente qu'il faudrait humblement endurer pour capter cette lumière rare et si particulière, et pour en vivre l'expérience paisible. Il nous convie à partager son cheminement solitaire vers un langage poétique d'une sobriété, d'une concision et d'une netteté remarquables, servi par des images, non pas illustratives, mais éclairant ses impressions, et ajoutant aux textes compendieux, au coeur de l'hiver où la nature est nue, des branches et des nervures pour une portée nouvelle.

Tout saisissement est fait sans grande hésitation (ou alors celle-ci est-elle évoquée pour mieux en montrer l'incongruité : "j'allais écrire : toute lumière bue"), spontanément, avec confiance et sérénité ("dans l'abandon du jour"), et en se délestant des soucis d'esthétisation et de figures. C'est ainsi que le poète fait sienne les aspirations de Philippe Jaccottet de ne pas s'encombrer d'images et de quérir (ou d'attendre devrait-on dire) une parole simple, riche de tout son dénuement. Christian Le Mellec est en ce sens loyal à la nature poétique des paysages hivernaux du Vaucluse qui l'entourent et qui lui offrent de véritables instants de grâce. 

C'est en hiver, semble-t-il, lorsque la nature est dévoilée, sans couverture, et à l'arrêt, que ces instants surgissent et que "s'offrent le vaste, / le clair / le silencieux", triptyque merveilleux déployé dans l'ensemble du recueil. 

Ainsi, le lecteur ressentira dans l'évocation des espaces le vertige de la verticalité, le conduisant des profondeurs des "puits", accueillant la lumière, jusqu'aux cirrus, "de très hauts nuages" amples, dessinant dans le ciel des traits sinueux d'une beauté simple, sans figuration particulière. Il sera sensible également aux étendues, en particulier au ciel qui s'élargit sans cesse et à la végétation bien vivante qui s'étire ("les branchages nus boivent l'azur", "les collines et les arbres vont dans l'espace"). 

Dans cet univers en expansion, l'expérience sensible du poète, y compris au sein d'un même lieu, est sans cesse renouvelée. C'est que la lumière change et que la clarté de l'hiver qu'il appelle de ses voeux offre une expérience émotive semblable à ce que les peintres impressionnistes pouvaient ressentir, plus inquiets peut-être que ne l'est le poète par la fugacité de la lumière qu'ils espéraient fixer sur la toile. Le premier sursaut émotif du poète-photographe est l'apparition presque divine de cette lumière ("enfin"), comme une prière exhaussée, un cadeau que l'on découvre au petit matin. Cette lumière est d'autant plus précieuse qu'elle s'efface parfois ("elle semble s'absenter"), devient plus basse ou voit sa substance modifiée ("lumière poudreuse" ou "vaporeuse"). Surtout, elle a, comme aucun autre élément, le sens de l'exploration des choses et de la matière : prisonnière des montagnes, elle "dénude les jours", pénètre la végétation, les arbres en particulier, "jusqu'en leur coeur" et conquiert tout ce qu'elle peut atteindre. Elle est à la source de tous les feux, dont celui du poète qui s'exprime ici, sincèrement  transporté par ce que lui suggère la nature de l'hiver. 

Son expérience matinale et solitaire est semble-t-il, silencieuse. Pourtant, c'est dans la captation des bruits qu'offrent les paysages traversés qu'il atteint cette paix intérieure parfaitement perceptible et communicative. Le poète compose et orchestre en effet une admirable symphonie aux variations multiples, née d'un bruissement un jour, d'un tintement un autre jour, suivis de cris, de crissements et de "bruits d'eau", mais aussi de silences interrompus par "la cloche de Bonnieux".

Christian Le Mellec, soutenu par sa connaissance de la méditation, fait l'expérience heureuse et apaisée d'un rapport renouvelé à la nature qui l'entoure et qui dispose de toutes les ressources nécessaires, même fragiles et fugaces, à l'émergence d'une transcendance et, bien au-delà, de la plus pure poésie. 

David Dielen 

Christian Le Mellec, Lumière d'hiver, enfin, Le bois d'Orion, 2023, 55 pages.


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