RECUEIL - Une poésie qui ne manque pas d'air : Claire Médard, "Appel d'air"

L'appel d'air est per se un mouvement poétique, et même éco-poétique. Ne dit-on pas faire un appel d'air ? La poésie de Claire Médard est sans nul doute animée  d'un mouvement qui rappelle la Vita poetica de Jean-Claude Pinson, c'est-à-dire un élan vital, un « faire » (poïésis) plutôt qu'un « agir » (praxis).

Cet élan est illustré en couverture par une photographie prise depuis le bateau traversant le Léman, "un lac comme un océan", où les lignes dynamiques se rencontrent, s'entrechoquent, interagissent les unes avec les autres. L'appel d'air est ainsi un des phénomènes physiques qui traduit le mieux cette interdépendance, ce faire commun des êtres et des choses qui est au coeur de la démarche éco-poétique et de la sensibilité vive du recueil. L'intention de la poétesse serait-elle de l'écrire, de le dire, voire de le crier avec force et engagement, rompant, du moins symboliquement, le silence de l'écriture ? 

Car c'est bien d'un appel dont il s'agit, avec tout ce qu'il peut contenir d'urgence, de solennel et d'envie de réunir, de regrouper les autres autour de soi. L'expression appel d'air accueille en ce sens une altérité placée au coeur du ressourcement que suggère la photographie réalisée par Claire Médard : l'autre est celui auquel je m'identifie, il est aussi celui duquel je me distingue. L'appel d'air est alors, simultanément, un appel fait aux autres et à soi-même dans un moment que l'on peut imaginer de solitude mais où l'on cherche constamment cet aller-retour moteur avec le reste du vivant. Qu'est-ce que l'écriture sinon une parole prononcée à soi-même et aux autres, en silence ? "[L]e silence / Quelque chose de sacré".

L'organisation du texte poétique sur la page, voulue par Claire Médard, a cette grande qualité, parmi d'autres forces, d'illustrer à elle seule l'expression du titre et d'en préciser la poéticité. L'on ressent d'une évocation à l'autre, d'un tableau à l'autre, le courant d'air circulant entre les lignes et les pages, bluffés par la finesse du montage, sans que nous puissions identifier les points de rupture, les moments peut-être où la poétesse a cessé d'écrire, suffocante, à bout de souffle (cela doit bien arriver !).

Un air frais et vivifiant, un vent fort même parfois, file entre nos doigts, malgré les sujets graves, les tensions et les situations laissées en suspens. Aussi le recueil débute-t-il par un grand saut, un hoquet naturel, un boom inattendu : "Sur la plage / hors saison / le sable et les algues / dans leur plus simple appareil / ont disjoncté". Et alors que l'on assiste à l'entremêlement de réalités, peut-être observées simultanément et prises dans le même flux d'air, la poétesse se place à l'écart, fabriquant des incongruités où domine – c'est le propre de l'air de pouvoir le porter – un esprit de légèreté et de fantaisie : "Une joggeuse essoufflée / rouge / fronce les sourcils / noirs."

Claire Médard livre au plus près de nous, comme si nous étions sous son assistance respiratoire, en bouche à bouche, une poésie qui ne renonce pas à jouer avec les mots, privilégiant, pour créer ses images, leur trivialité : l'on trouve par exemple en bonne place dans le recueil les termes amusants de "corde à linges", "hot-dog", "crotte de nez", "cacahuète", "chamallow"... Elle relève également, et avec beaucoup de justesse, la musicalité et le rythme de phrases dépoétisées par l'usage ou initialement dénuées d'intention poétique, comme celle-ci où la savoureuse allitération en d s'associe à la métrique parfaite de l'alexandrin : "L'usage du deux roues détériore les digues".

Et l'on sourit, comme enivré d'un peu trop d'oxygène inhalé, euphorique, électrisé par les "court[s] circuit[s]" du texte, assemblé comme un collage rappelant l'entreprise de Prévert dans Hebdromadaires (1972), où le fait d'actualité, à peine transformé, est révélateur de poésie : "La voiture thermique émettrait / moins de CO2 que le taxi volant".

Appel d'air attire ainsi le plus grand nombre, non en asphyxiant la langue mais en la creusant et en redonnant toute sa vigueur au souffle poétique.

David Dielen 

Claire Médard, Appel d'air, Porte 7, "Paroles Électriques", 2024, 31 pages.


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