RECUEIL - Une poétesse en hiver : Frédérique Germanaud, Véronique Lanycia (photographies), "Si, par le ciel"

Chez Blancs Volants éditions, le titre des recueils, particulièrement travaillé, ne laisse jamais indifférent. La polysémie du "si", adverbe ou conjonction, interroge déjà le lecteur tandis que "par le ciel" lui assure, en complément d'une couverture bleue, soignée, et de magnifiques traits d'oiseaux photographiés par Véronique Lanycia, un doux instant d'évasion. 

C'est peut-être qu'a contrario la poétesse sait toute la pesanteur de ses évocations, finement ciselées et inscrites, dès le commencement, dans une terre lourde, "grasse" et minérale. Celle-ci faisant songer aux terres blanches de la Champagne crayeuse, associées à toutes sortes d'éclats de silex tranchants, elle menace la nature et l'humanité qui l'habite, de blessures douloureuses, conduisant la poétesse, au silence et au retrait, le temps de l'hiver : "Se couper la langue / Se coucher". 

Nous entrons alors dans un temps sombre où les déchirures ne sont pas encore celles des sillons laissés dans les champs pour la semaison et les germinations à venir, mais plutôt celles d'une colère inscrite dans les deux vers lisibles au mitan du recueil (et mis en exergue en quatrième de couverture) : "Un jour je ferai rendre à la terre / Tout ce qu'elle m'a pris". C'est là, la conclusion d'un long mouvement de révolte, paradoxalement léger et fluide, si l'on en juge la brièveté des instants évoqués et l'absence de ponctuation, qui prend sa source en introduction du recueil ("La souffrance serrée fort / Dans le poing"). La poétesse, en parsemeuse de mots, l'étire par l'usage d'un lexique qui ne laisse nul doute sur son état : "Ne plus voir / Le ciel / Qu'en cendre." ; la faute donc au ciel que l'on aurait pu croire un temps salvateur mais qui "ne tient plus rien" et laisse place à l'abattement, au désespoir, et plus largement, à des troubles intérieurs que reflète bien la perception floutée des photographies : "La fatigue / Brouille l'horizon." 

Le lecteur appréciera sans nul doute les rêveries qui accompagnent ces états-d'âmes (comme on disait autrefois) sous forme d'images brèves et sensitives (olfactives surtout), que l'on imagine grésillantes et ressurgies du passé : "Courir vers un buisson de menthe / Y enfouir sa tête / Et pleurer" ; "L'immense odeur des bêtes". Le désarroi de la poétesse, solitaire, et déjà privée de paroles, est de voir s'évaporer "sur la vitre" sa force créatrice : "Des mots / Usés / Jusqu'à la corde". 

C'est au sortir d'un long hiver, où l'air est encore frais et piégeux, que vient le temps de la guérison ("La plaie cicatrise") et d'une entrevision de lumière et d'espoir, décelable dans les premiers signes de la vie renaissante : "L'arbre dévoile / D'autres promesses". 

Alors la poétesse fait peau neuve, toujours à vif cependant, comme la pomme dont les pelures sont restées "au bord de l'assiette". Car écrire n'est pas rien. Il faut accepter de marquer de son soulier créatif la terre, "tiède" déjà, "Que le ver travaille / Comme l'oiseau / Travaille le ciel". 

David Dielen

Frédérique Germanaud, Véronique Lanycia (photographies), Si, par le ciel, Blancs volants éditions, 2021, 57 pages.


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